Papillon de nuit

Attiré comme un papillon de nuit Par le bruit, les néons, les images Enfin, tout c'que peut promettre Paris À 20 ans, j'ai quitté mon village Peur de rien, juste trois sous en poche J'me retrouve donc à battre le pavé Bon pied bon œil, 'vec ça, pas trop moche J'voyais venir l'avenir sans m'inquiéter Comme j'avais pris avec moi La vieille soif de mon papa Voilà qu'verre en main, toujours gaillard J'me mets à zoner de bar en bar J'y croise Dugland, Machin, ces zigues L'Informé, celui qu'en sait long sur tout Le Bavard qu'on fuit, vu qu'il fatigue Et Patou, le petit qu'a les yeux doux D'accord, ça fait peu de Prix Nobel Peu de winner au mètre carré Et ça s'contredit, ça s'interpelle N'empêche que c'est du monde, du vrai Comme ça rigole aux éclats Je m'y plonge jusque-là Nuits enfumées jusqu'au matin clair Je m'sens comme un poisson dans la mer Un connard qu'a jamais dû ramer S'met à dire que de l'autre côté d'la rue Y a tout l'taf qu'on veut, qu'y a qu'à s'baisser Moi, pauvre pomme, pauvre con, ben je l'ai cru Tous les boulots d'merde, m'les suis tapés Laveur de vitres, frotteur de trottoirs Par téléphone, vendeur de volets Livreur à vélo dans la nuit noire, au noir Bizarre, j'ai pas fait mon beurre J'ai dû rater l'ascenseur Mais j'ai pu mesurer la tendresse Des petits chefs qu'aboient derrière tes fesses Voilà qu'un soir, quand on en avait sa claque De Mimile qui rétalait ses histoires Pavés, lacrymogènes, Larzac Tout à coup, il se pointe au comptoir Un OVNI comme une photo couleur Dans un film gris au crade décor Moi j'en prends un grand coup d'poing dans l'cœur Pis tombe un silence qu'on dirait de mort Sûr qu'elle venait pas d'ici Peut-être d'une autre galaxie 'Core aujourd'hui, j'trouve pas mes mots Et j'en reviens toujours pas du cadeau C'est d'abord un regard qu'on échange Un sourire, à peine si tu le vois Un frisson et te voilà chez les anges Tout l'monde ou presque est passé par là Entre ces murs couverts de vieilles affiches Y a 100 ans qu'on n'avait pas vu ça Et nous voilà beaux, nous voilà riches Sans un rond, mais du monde les rois Dans la mienne, elle a posé Sa petite main comme un baiser Pis on est partis droit devant nous J'exagère pas, le vent était doux Dans notre chambre, il a plu des "je t'aime" Pendant au moins trois éternités Tant d'mots qu'on en tressait des poèmes Qu'on n'savait même plus où les ranger On en avait de pleines valises De pleins tiroirs, et qui s'envolaient Comme des oiseaux bleus dans la brise Qui s'en vont où on mourra jamais Bon, voilà que je déconne C'est tous ces souvenirs qui m'donnent Comme un peu d'tristesse, de nostalgie Ça va passer, voilà, c'est fini (c'est fini) C'est précisément ce qu'elle m'a dit Un sale jour et me voilà jetable C'est l'lot d'pas mal de gens aujourd'hui Et reviennent les matins minables Elle serait retombée sur un lascar Sérieux, le genre type en CDI J'imagine la dégaine, le costard Déodorant dès le saut du lit Si elle est heureuse avec ça C'est tant mieux, moi je m'en vas Retrouver sous le néon blafard Mes potes au rendez-vous des tocards À trop tourner autour des lumières On finit par se brûler les ailes Qu'on soit pauvre mec ou lépidoptère C'est pas là une chose nouvelle À 20 ans, j'ai quitté mon village C'est dire qu'y a vieux, qu'on m'y a oublié Bientôt viendra la fin du voyage M'en irait sur la pointe des pieds